Lobbying et plaidoyer : Influencer les pouvoirs publics pour servir la démocratie
Souffrant d’une connotation négative en France, le terme lobbying fait l’objet de méfiance et est parfois considéré comme une menace pour la démocratie, en faveur d’intérêts privés. Il est vrai que les techniques de lobbying ont souvent été employées par des entreprises multinationales, peu scrupuleuses et au mépris de toutes les règles éthiques.
Pourtant, il s’agit d’un processus démocratique légal et d’une opportunité de démocratie pour les citoyens. Les associations, organisations non gouvernementales (ONG) et entreprises sociales, utilisent plutôt le terme « plaidoyer » à cet escient, plus positif et dans un esprit de promotion du bien commun et de la défense des droits.
Le lobbying : un processus démocratique et légal
Il se définit comme étant une stratégie d’influence auprès des décideurs politiques et des institutions publiques, menée par un groupe d’intérêt ou groupe de pression qui défend les mêmes valeurs et intérêts. Par leur argumentation ou leur influence, les lobbyistes veulent influer sur la mise en place de législations ou leur modification, en ligne avec leurs intérêts ou leur cause, voir la suppression de certaines normes.
Associé aux entreprises, le terme « lobbying » n’est pas utilisé par les associations, ONG et entreprises sociales, qui préfèrent utiliser le terme « plaidoyer », bénéficiant d’une image plus positive.
En son sens premier, le lobbying ou plaidoyer relève d’un processus démocratique neutre et organisé légalement. Pour chaque loi en discussion, les parlementaires se doivent de consulter toutes les parties prenantes sur un sujet donné afin d’assurer le respect des principes démocratiques et la représentativité de tous les citoyens. En termes pratiques, cela veut dire que tous les citoyens concernés par un projet ou une proposition de loi, toutes les associations, les entreprises, peuvent demander à être entendus. Et c’est là un déroulement démocratique sain et normal, qui existe depuis toujours mais n’a été encadré que récemment.
Sa formalisation, très tardive en France, date de 2013 suite à l’adoption des lois relatives à la transparence de la vie publique par le Parlement. Ayant pour objet la lutte contre les conflits d’intérêts et la transparence démocratique, sa principale mesure a été la création d’une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Dorénavant, en France tous les lobbyistes et groupements d’intérêts sont enregistrés, ainsi que les dossiers sur lesquels ils travaillent et leurs donneurs d’ordre, comme c’était déjà le cas depuis longtemps auprès des instances européennes. Les visites et gratifications sont également plus encadrées, avec des obligations de déclaration des personnalités publiques.
Si le processus paraît encore dévoyé de nos jours, la professionnalisation grandissante des ONG dans ce domaine et les moyens digitaux de communication, ont permis de mobiliser l’opinion public sur des sujets de plaidoyer et d’obtenir de belles victoires ces dix dernières années. À ce titre, on peut citer :
- Les directives européennes sur la transparence des industries extractives, qui obligent notamment les pétroliers à déclarer leurs revenus dans les pays étrangers ¹
- Le règlement européen sur les minerais issus de zones de conflit, qui contraint les entreprises particulièrement de téléphonie, à rechercher la traçabilité des minerais ²
- La loi française sur la responsabilité juridique des sociétés mères face à leurs filiales, le devoir de vigilance, suite à l’effondrement d’une usine textile au Bangladesh, le Rana Plaza ³
Bien sûr, ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres, mais ils représentent un véritable espoir pour la démocratie et le bien commun.
Différentes formes et plusieurs niveaux d’intervention
De la part des lobbyistes ou chargés de plaidoyer, cela demande une très bonne connaissance des institutions et des processus politiques. De même, il existe un large éventail d’outils possibles pour faire pression sur les gouvernements : pétition, courrier, rencontre, article de presse, lettre ouverte, rapport, étude, manifestation, action coup de poing, réseaux sociaux… Mais en ce qui concerne le lobbying pour l’intérêt général, la légitimité d’un sujet vient toujours d’une large mobilisation citoyenne et de l’opinion public.
Deux formes d’influence sont possibles :
- en amont : il s’agit de demander la prise de mesures, législatives ou politiques, qui n’existent pas encore sur un sujet donné, ou bien de travailler à l’amélioration et la modification de lois déjà en discussion dans l’intérêt du bien commun, par exemple en proposant des amendements législatifs à l’Assemblée Nationale ou au Sénat.
- en aval : les législations ou normes existent déjà, mais les groupes d’intérêts peuvent demander la modification d’une loi ou l’abrogation de celle-ci, si elle est préjudiciable à certains groupes de personnes ou contraire à la Constitution et au droit international.
Les interventions peuvent avoir lieu à différents niveaux :
- Local ou National : auprès des instances politiques et législatives. Notamment les maires, les régions, les ministères, le Président de la République, les partis et groupes politiques. Ainsi que d’autres instances comme le Défenseur des Droits et la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme. Sur les processus législatifs, les interventions sont possibles auprès des parlementaires à l’Assemblée Nationale et au Sénat.
- International : auprès des organisations européennes et internationales, notamment le Parlement européen, ses parlementaires et groupes politiques, la Commission Européenne et ses différentes Directions Générales, l’Organisation des Nations Unies (ONU) et ses organes, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Organisation Mondiale du Commerce, etc. Également judiciaires, auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (qui ne fait pas partie des instances de l’Union Européenne mais du Conseil de l’Europe).
Dès lors qu’un État signe une convention internationale, celle-ci a valeur supérieure à la loi nationale. Les législations nationales doivent donc être en conformité avec les engagements internationaux d’un pays. Le lobbying intervient notamment pour veiller à ces conformités.
Un exemple : L’examen périodique de la France pour la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE)
La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) est un traité international adopté par l’Assemblée générale des Nations unies, le 20 novembre 1989. La Convention énonce les droits fondamentaux des enfants. Elle est aujourd’hui ratifiée par 196 États dans le monde.
La France, a été en Europe le deuxième pays à ratifier la CIDE, après la Suède, le 7 août 1990. La convention repose sur 4 principes : ⁴
- la non-discrimination
- l’intérêt supérieur de l’enfant (l’enfant devient un « sujet de droit » et n’est plus un « objet de droit »)
- le droit à la vie, à la survie et au développement
- le respect des opinions de l’enfant sur toute question qui le concerne
Depuis la ratification par la France, la Convention Internationale des Droits de l’Enfant fait partie du droit français et a valeur supérieure à la loi nationale.
Pour chaque convention internationale de l’ONU, il existe des processus pour vérifier que les Etats signataires respectent effectivement les dispositions des traités. Ces processus sont appelés examens périodiques pour certains, et en ce qui concerne la CIDE, chaque pays est examiné tous les 4 à 5 ans.
Dans le cadre de l’examen périodique de la France pour la CIDE qui débute en 2020 et se termine en 2022, plusieurs étapes se succèdent :
- D’abord, les acteurs de la société civile et toutes les parties prenantes qui le souhaitent soumettent des rapports au Comité des droits de l’enfant de l’ONU.
- Ensuite, après un processus de différentes auditions, l’Etat français doit répondre aux questions du Comité sur les violations des droits de l’enfant constatées dans les rapports.
- Pour finir, le Comité des droits de l’enfant fait ses observations définitives à la France sur son respect ou non de la Convention, ainsi que des recommandations à suivre. ⁵
L’examen périodique, qui existe aussi pour la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme⁶, est un processus important de la vie démocratique d’un pays. Il réunit de nombreuses associations, ONG, spécialistes des droits de l’enfant, des citoyens, et également des enfants qui sont auditionnés par le Comité.
C’est une occasion unique de porter auprès d’une institution internationale un plaidoyer national, étayé de recherches et d’argumentaire et d’y apporter du crédit. Les remarques du Comité des droits ne sont évidemment pas contraignantes mais son rapport final constitue une sanction morale et donne un poids politique conséquent aux observations. Les ONG françaises s’appuient par la suite sur ces observations pour faire appliquer les droits des enfants au niveau national et faire évoluer les lois dans le bon sens. Des cas particuliers peuvent également faire l’objet de requêtes auprès du Comité des droits qui statue et peut demander à la France de suspendre l’application de décisions administratives ou judiciaires. ⁷
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Le lobbying, bien que souffrant d’une image négative, représente une opportunité de démocratie et d’influence sur les législations et décisions politiques en vue du bien commun. Les controverses autour du lobbying interrogent encore aujourd’hui notre conception de la vie politique qui tolère trop souvent les égarements et les influences d’intérêts privés et commerciaux sur la loi. Effectivement, tous ces processus de plaidoyer sont complexes et souvent peu accessibles et compréhensibles par le grand public. Toutefois, le développement de l’éducation à la citoyenneté et l’apprentissage du fonctionnement des institutions, permettent de répondre à cet enjeu démocratique et surtout pour les citoyens de faire valoir leurs droits.
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Références :
¹ L’article de Publish What You Pay
² L’article de l’association Sherpa
³ L’article de Novethic
⁴ Le site vie-publique.fr donne ces informations
⁵ Explication sur le processus des rapports au Comité des droits de l’enfant sur le site de Child Rights Connect
⁶ Le site du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU présente l’examen périodique universel (EPU)
⁷ Par exemple, dans le cas de l’affaire Vincent Lambert, le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU s’était prononcé pour une suspension des décisions d’arrêt des traitements : cf. l’article du Figaro
Pour en savoir plus :