Communication responsable : vers une écologie de l’attention !
Cet article fait suite à la récente publication de notre livre blanc « Yes, pour une comm’ (plus) responsable ! ». Dans ce livre blanc, nous vous proposons une réflexion sur ce qu’est la communication responsable ainsi que 8 principes pratiques et un bonus pour communiquer de manière plus responsable en tant qu’entreprise ou association.
Lisez également notre article : “Communication responsable : vers plus de justice sociale !”, complémentaire à ces réflexions.
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Nous voyons depuis quelques années l’avènement d’une nouvelle forme d’économie, de consommation et de communication : l’économie de l’attention. En effet, grâce au développement des réseaux sociaux et des nouvelles technologies, nous avons accès à une information en masse et très souvent gratuite, qu’elle soit ou non conscientisée.
Yves Citton, écrivain et chercheur, parle dans ses travaux sur l’économie de l’attention d’un “nouvel horizon du capitalisme” ¹ par un passage d’une information rare à une information abondante, ainsi que d’une marchandisation de biens et de services à une marchandisation de l’attention. Cela pose des questions éthiques : existe-t-il un droit à la protection de l’attention ? les mécanismes des technologies comme les algorithmes par exemple, utilisent-ils la psychologie ou les processus cognitifs au détriment de l’être humain et de son développement ?
En tant qu’entreprise ou association, quelles responsabilités avons-nous en ce qui concerne l’attention de nos utilisateurs ? Comment communiquer de manière plus responsable et tendre vers la notion d’écologie de l’attention ?
Dans cet article, nous voulons définir ce que sont l’économie et l’écologie de l’attention, rappeler les principaux enjeux éthiques pour enfin expliquer comment, grâce à la communication responsable, nous pouvons favoriser l’écologie de l’attention.
Écologie de l’attention : de quoi parle-t-on ?
On parle d’écologie de l’attention en réponse à l’économie de l’attention.
- Économie de l’attention :
“L’économie de l’attention est une branche des sciences économiques et de gestion qui traite de l’attention et de son contrôle comme d’une ressource rare. (…) La ressource rare devient le temps et l’attention des consommateurs.” ²
Cette forme d’économie repose sur le modèle économique de la gratuité (exemple : réseaux sociaux) ou d’abonnements à bas prix (exemple : plateformes de streaming) qui proposent aux utilisateurs un “libre accès à des milliers de contenus” en échange de leur attention (consciente ou non consciente). Cette dernière est ensuite utilisée à des fins commerciales, par exemple pour promouvoir des offres d’annonceurs auprès d’un public ciblé.
Yves Citton, écrivain et chercheur cité en introduction de cet article, a publié un livre intitulé “L’économie de l’attention : nouvel horizon du capitalisme ?”. Selon lui, le phénomène de l’économie de l’attention n’est pas nouveau. Il cite notamment Jonathan Crary, essayiste américain : “l’attention est au cœur des tensions anthropologiques générées par le capitalisme depuis l’industrialisation (comment rester attentif sur une chaîne de montage ?)”. Également Georg Franck, économiste allemand qui écrivait en 1993 : “Par quelles modalités concrètes quelque chose d’aussi éphémère et hétérogène que l’attention peut être homogénéisé pour servir de monnaie ?”. ³
Qu’est-ce que cela recouvre ? L’économie de l’attention ne concerne pas uniquement les réseaux sociaux. Nous pouvons citer par exemple les moteurs de recherche qui nous fournissent une multitude de services gratuits au quotidien. Nos objets technologiques (smartphones, montres connectées, etc.) de plus en plus performants et design que nous gardons auprès de nous presque constamment. Mais aussi les sites des géants du e-commerce qui nous proposent des services de plus en plus faciles et attractifs. ⁴
- Écologie de l’attention :
Il s’agit d’un concept qui vise à “résoudre la tension entre l’enrichissement collectif et la valeur créée par l’échange d’attention.”
Deux chercheurs ont mené des travaux sur ce sujet : Yves Citton et Emmanuel Kessous. Ces travaux invitent à dépasser l’économie de l’attention pour aller vers l’écologie de l’attention. Yves Citton suggère de “nous rendre mieux attentifs les uns aux autres ainsi qu’aux défis environnementaux et sociaux.” Emmanuel Kessous, propose de fonder une nouvelle “cité de l’attention” sur le principe de “recevoir et contrôler l’attention (de soi et des autres)”. ⁵
L’attention est une ressource rare, qu’il convient de préserver et de protéger, au même titre que la préservation des droits sociaux ou de l’environnement.
Quels enjeux éthiques ?
Aujourd’hui, nous sommes libres de nous déconnecter de nos smartphones, réseaux sociaux et de tout ce qui pourrait entraîner une forme d’appauvrissement de notre attention. Cependant, les questions éthiques majeures reposent sur la manière dont notre attention est considérée aujourd’hui dans notre économie, dans la morale et au niveau juridique. C’est également une question de liberté et de dignité humaine.
Il y a tout d’abord un enjeu éthique de ne pas réduire l’attention à un objet de marchandisation. De la même manière, il faut une reconnaissance des biais cognitifs propres à l’attention qui peuvent être utilisés contre le développement de l’être humain, c’est-à-dire nuire à sa liberté, de choix, de penser, voire l’asservir. Et enfin de reconnaître un “droit à l’attention”.
1. Ne pas réduire l’attention à un objet de marchandisation :
James Williams, ancien collaborateur de Google où il a travaillé plus de 10 ans sur la stratégie publicitaire de l’entreprise, a créé “Time Well Spent” : une organisation à but non lucratif qui vise à renverser “la crise de l’attention numérique”.
Il explique que : “quand on pense à « l’éthique de la technologie », la plupart des gens pensent aux enjeux de vie privée ou de surveillance, à la protection de nos données. Ces enjeux sont importants, bien sûr, mais aujourd’hui les technologies contrôlent notre attention, et on n’a pas encore de moyen de parler de façon claire de l’attention comme d’un objet. On peut se représenter l’information comme étant transmise, transférée, possédée, volée, mais penser à notre attention de cette façon, c’est plus difficile.” ⁶
Monétiser notre temps et notre attention, semble être le degré ultime de la société de consommation où le consommateur apparaît complètement déshumanisé et asservi aux entreprises du numérique qui profitent de ses failles.
2. Reconnaître les biais cognitifs propres à l’attention qui peuvent être utilisés au détriment de la liberté de l’être humain :
La sur-sollicitation de notre attention pose des risques psychosociaux et entrave notre liberté : ne plus réussir à se concentrer, lutter contre la distraction et l’éparpillement par exemple. Mais aussi de nous couper de notre imagination, du rêve, de la créativité, du monde réel qui nous entoure, de notre humanité, de la liberté de choisir quoi faire de notre temps et de notre attention, jusqu’à provoquer des addictions (documentaires Arte sur Youtube et Instagram).
Aujourd’hui, des organisations non lucratives et associations dénoncent les mécanismes addictifs de “l’industrie de la persuasion”. Le reportage The Social Dilemma en est un exemple emblématique : des repentis de la Silicon Valley comme James Williams ou Tristan Harris dénoncent les pratiques de cette industrie : “Nous en sommes arrivés à une industrie de la persuasion à grande échelle, qui définit le comportement de milliards de gens chaque jour, et seulement quelques personnes ont leurs mains sur les leviers. Voilà pourquoi j’y vois une grande question morale, peut-être la plus grande de notre époque. (…) Ce que les gens ne réalisent pas, c’est à quel degré les technologies sont designées pour être leur adversaires… Elles sont rarement de leur côté. Les gens imaginent que le but d’un réseau social est de les connecter aux autres, mais ce ne sont pas ces données-là qui apparaissent sur le tableau de bord d’un réseau social… Ce n’est pas ça qui est maximisé.” (James Williams)
L’organisation Center for Humane Technology, co-fondée par Tristan Harris, met en avant ce film et d’autres ressources comme des podcasts, des cours ou des outils. Sa mission est de “conduire un changement complet vers une technologie humaine qui soutient notre bien-être, notre démocratie et notre environnement d’information partagé.” ⁷
3. Reconnaître un “droit à l’attention” :
Le podcast Ma Bataille “Technologies addictives : faut-il un droit à l’attention ?” créé à l’occasion des Assises de l’attention en février 2020 pose ces questions : est-ce seulement à nous de nous discipliner ? de résister aux tentations ? ne faudrait-il pas limiter les technologies et leurs fonctionnalités addictives, et faire naître un “droit à l’attention” ? ⁸
Célia Zolynski, professeur de droit et auteur d’un plaidoyer intitulé “L’économie de l’attention saisie par le droit” ⁹ et Florent Souillot, co-fondateur du collectif Lève les Yeux témoignent dans ce podcast. Selon Célia Zolynski : “Une protection doit être organisée s’il y a des enjeux sanitaires majeurs comme la manipulation cognitive. Il faut s’appuyer sur le travail des neurosciences. L’approche défensive ne doit pas être la seule, elle doit être complétée par un nouveau droit à la maîtrise de son attention, dont les paramètres ne reposent pas uniquement sur les intérêts économiques d’un système mais aussi sur l’intérêt individuel de la construction de soi et de son rapport aux autres.”
Florent Souillot explique que : “les plateformes ne se présentent jamais comme ce qu’elles sont exactement. Les utilisateurs doivent disposer d’un droit à être informés sur les risques de telle ou telle pratique. Certaines plateformes sont conçues pour maximiser notre temps passé à leur utilisation, nous devons en être informés. L’attention doit également être reconnue comme une richesse qui fait notre humanité et non comme l’objet de désir d’une industrie. La reconnaître, c’est comme reconnaître par exemple le droit à la protection des sols, qui pose la question d’une exploitation infinie des ressources quand elles ne le sont pas.” Il faut aller vers une régulation internationale des entreprises qui proposent des services consommateurs de notre attention, comme cela a été fait avec la mise en place du Règlement Européen pour la Protection des Données afin de protéger nos données personnelles.
Communication responsable et écologie de l’attention
En tant qu’entreprise ou association et plus précisément en tant que communicant, nous avons le pouvoir de transformer positivement notre société, que ce soit sur le sujet de l’attention ou tout autre enjeu actuel.
Comment ? La communication responsable met en avant quelques principes pratiques qui tendent à favoriser une écologie de l’attention :
– La cohérence : il n’est pas nécessaire d’essayer et d’investir dans toutes les nouvelles techniques du marketing, notamment digitales, car leurs externalités négatives ne sont pas toutes cohérentes avec vos objectifs d’impact et votre mission sociale. Une communication responsable repose également sur la cohérence entre vos valeurs et votre modèle économique. Elle en est le reflet, en externe comme en interne.
– La responsabilité sociale : c’est un pilier de la communication responsable. On peut se questionner sur la vision du monde (et de l’attention !) que nous véhiculons. Participons nous à un appauvrissement de l’attention ? ou au contraire à sa valorisation, nécessaire à la résolution d’enjeux sociaux et environnementaux ? Il y a deux versants à la responsabilité sociale dans la communication responsable : à la fois en qualité de communicant, vous êtes responsable de la façon dont vous communiquez, et en tant qu’émetteur de messages, vous êtes responsable de son contenu et de ce qu’il génère comme comportements.
– La qualité de la communication : dans un contexte de multiplication des messages, d’instantanéité, notamment par l’explosion du digital, il peut y avoir une tendance à vouloir privilégier la quantité des messages par rapport à la qualité de la communication. L’enjeu est alors de produire des contenus qualitatifs pour être entendu, c’est-à-dire transmettre le bon message aux bonnes cibles au bon moment. La stratégie de communication représente l’un des piliers d’une communication de qualité : avant de passer à l’action, vous devez construire une stratégie claire, où vous allez définir les objectifs de votre communication, l’identité de votre marque, la ligne éditoriale, bien identifier les cibles et les canaux.
– La proportionnalité des moyens avec les objectifs : La communication responsable se veut plus réfléchie, plus proportionnée, plus sobre aussi. Dans une logique d’écologie globale, vous utilisez les justes moyens pour atteindre vos objectifs. C’est pour cela que la définition de votre stratégie de communication, le choix de vos canaux, représente une étape clé dans une communication plus responsable. Communiquer moins mais mieux, peut être tout aussi efficace pour remplir ses objectifs commerciaux, de visibilité, de notoriété et d’impact.
La communication responsable a un pouvoir performatif sur les modèles économiques : si de nombreuses entreprises et associations communiquent avec des principes d’écologie de l’attention, alors les modèles économiques vont être remis en question et peu à peu se transformer. Le modèle économique est bien souvent la source des dérives liées à l’économie de l’attention. Entreprise ou association, nous avons le pouvoir de participer à la construction de modèles économiques plus vertueux.
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¹ L’économie de l’attention : nouvel horizon du capitalisme ?, Yves Citton, Editions La Découverte, 2014
² Wikipédia donne cette définition
³ Extraits du livre L’économie de l’attention : nouvel horizon du capitalisme ?, Yves Citton, Editions La Découverte, 2014
⁴ L’article “Économie de l’attention et Design d’attention (1/2) : Avons-nous perdu la liberté de nous concentrer ?” du site mbamci.com donne cette information
⁵ Wikipédia donne cette information
⁶ L’article “Sur son lit de mort, personne ne se dit : « J’aurais aimé passer plus de temps sur Facebook »” d’Usbek & Rica donne cette information
⁷ Le site humanetech.com donne cette information
⁸ Podcast Ma Bataille : “Technologies addictives : faut-il un droit à l’attention ?” ⁹ “L’économie de l’attention saisie par le droit”, Célia Zolynski, HAL SHS Sciences Humaines et Sociales