L’ESS comme opportunité de résilience économique et sociale : vers une économie du bien commun
Il y a maintenant un an, nous vous présentions l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) et l’entrepreneuriat social dans notre article “ L’ESS au service de la société : quand l’entrepreneuriat social prend toute sa place ”. Ces derniers mois, la période de crise sanitaire a fait émerger les défaillances de notre économie. Notamment le manque de résilience de nombreuses structures, qui ont vu leurs modèles se briser par des chocs inattendus.
Alors que de nombreuses réflexions fleurissent sur le « monde d’après » ou le « monde de demain » en opposition au « monde d’avant », il nous a semblé opportun de construire une autre approche non-antagoniste, qui nous montre qu’une troisième voie est possible : celle qui fait la synthèse et renforce les initiatives positives qui existent déjà.
Christophe Itier, Haut-Commissaire à l’Économie Sociale et Solidaire et à l’Innovation sociale, souligne que l’ESS est essentielle durant cette crise et indispensable pour demain : “ nous avons besoin d’une dimension supérieure, capable d’organiser une véritable transformation économique et sociale, l’économie du bien commun. ” ¹ Face aux effets de cette crise et aux nombreuses crises potentielles, notamment environnementales auxquelles nous risquons d’être exposés, l’ESS prend toute sa place. En quoi l’ESS est-elle une opportunité pour trouver des facteurs de résilience ? Comment faire de l’ESS une priorité pour la relance économique et tendre vers une économie du bien commun ?
L’opportunité de l’ESS : une question de résilience
Reconnue par la Loi du 31 juillet 2014, l’Économie sociale et solidaire (ESS) regroupe un ensemble de structures qui cherchent à concilier utilité sociale, solidarité, performance économique et gouvernance démocratique, avec pour ambition de créer des emplois et de développer une plus grande cohésion sociale. ²
Le concept de résilience, quant à lui, s’applique à l’origine à la physique. Il désigne la résistance d’un matériau aux pressions et sa capacité à reprendre sa forme ou sa structure initiale. Tel un pneu sur une route cabossée. En psychologie, où le concept a été popularisé dans les années 90 notamment par Boris Cyrulnik, la résilience est la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité. ³
En mai dernier, pendant la crise du COVID-19, Utopies, l’agence pionnière de conseil en stratégies de développement durable, a démontré qu’aucun pays au monde ne dépasse le score de 50% de résilience productive. C’est à dire la capacité à maintenir la production de n’importe quel bien en situation de crise. L’épidémie de coronavirus questionne la capacité de nos systèmes de productions, notamment agricoles et industriels, à faire face à des aléas naturels ou climatiques. ⁴ Elle interroge de ce fait, sur la résilience de notre économie dans sa globalité : pourquoi certaines structures ne sont-elles pas résilientes ? Pourquoi n’ont-elles pas la trésorerie suffisante pour anticiper et absorber le choc de ce type de crise, ou pour anticiper les crises futures, dont les experts notamment climatiques nous préviennent ? Comment les structures touchées par la crise peuvent-elles s’adapter ou se réinventer ?
Utopies donne l’exemple de la nature pour parler de résilience : ses écosystèmes résilients se distinguent par le fait qu’ils sont “ plus diversifiés, offrent plus de complémentarités et de redondance des fonctions ”. L’ensemble d’une toile d’araignée ne sera jamais mis en péril par la rupture d’un fil et l’araignée ne devra jamais reprendre celle-ci à zéro. Face à un aléa, plus une économie est diversifiée, plus elle offrira des synergies ou des solutions de remplacement. Pour pouvoir répondre à un choc, elle sera donc plus à même de trouver de nouveaux débouchés et / ou de s’adapter aux besoins locaux. ⁵ L’ESS, favorise cette agilité et cette recherche de facteurs de résilience. Notamment grâce à sa vision de déconstruction de l’opposition public / privé et profit / non-lucrativité, que nous avions développé dans notre article.
Sortir d’une approche binaire de l’économie : vers une économie du bien commun
Christophe Itier, évoque deux approches de l’économie en silo : l’approche capitaliste liée au profit et l’approche sociale, humaine, environnementale. Elles représentent deux modèles qui restent encore aujourd’hui réciproquement étrangers l’un à l’autre, une approche binaire qui ne peut pas fonctionner, ni être résiliente. Selon lui, pour sortir de la crise actuelle et nous hisser à la hauteur de nos enjeux, nous avons besoin d’une dimension supérieure : “ l’économie du bien commun ”. ⁶
Une économie du bien commun serait une économie du sens, qui allie la préservation de l’environnement, le rétablissement de la justice sociale et la rentabilité économique. Dans cette perspective, l’intelligence collective permettrait de faire des arbitrages et des choix en toute connaissance de cause. ⁷ Cette définition se rapproche aussi de celle de l’économie positive : « au service des générations présentes et futures, profitable, socialement juste et économiquement responsable ». ⁸
Elisabeth Laville, co-fondatrice d’Utopies, explique également que nous devons sortir des approches binaires et dépasser les clivages, dans le » LiveTALKS » : » How to build a movement of movements ? « de ChangeNOW : “ la relance économique et sociale, n’est pas une question d’aujourd’hui ou de demain, ni un choix entre 100 % de durabilité ou 100% de croissance économique ”. Si nous continuons à penser en termes dichotomiques alors le « monde de demain » sera celui d’hier. Selon elle, le monde sera basé sur ce qui est déjà mis en place aujourd’hui pour absorber le choc de la crise sanitaire : solidarités, résilience productive, résilience locale. Nous devons donc trouver des solutions de durabilité, notamment en privilégiant l’agilité des territoires, la diversité, la redondance, l’interdépendance local / global et les synergies locales. ⁹
L’ESS : vers un changement d’échelle et de culture
L’Économie Sociale et Solidaire représente aujourd’hui près de 13% de l’emploi et 10% du PIB en France. ¹⁰ Alors qu’elle pouvait être considérée comme une composante minoritaire de l’économie dite “classique”, l’ESS trouve aujourd’hui des opportunités de changer d’échelle :
Notamment, grâce au Comité d’Organisation des Jeux Olympiques Paris 2024, qui se donne pour ambition d’inventer un modèle durable et exemplaire : énergie 100% renouvelable pendant les Jeux, économie circulaire, alimentation certifiée, mobilité propre pour la flotte olympique, transports en commun et moyens de mobilité douce pour les spectateurs, biodiversité et gestion de l’eau. L’événement sera un tremplin pour les structures de l’ESS qui développent ces solutions. Lorsqu’elles n’existent pas, il sera un levier pour susciter l’innovation grâce au savoir-faire des PME, startups, acteurs de l’ESS, territoires et de l’ensemble des acteurs de l’innovation. ¹¹
Une plateforme de réponse aux appels d’offres spécifique à cet événement mondial a été lancée : ESS 2024. Elle permet aux structures de l’ESS de se mobiliser et surtout de devenir plus visibles en remportant des appels à marchés publics. Cette plateforme solidaire est notamment portée par Les Canaux, qui soutiennent et promeuvent l’ESS et l’innovation sociale.
L’ESS et son écosystème s’ancrent également dans un changement culturel, pour lequel l’ère actuelle est à l’imagination de nouveaux récits. Rob Hopkins, initiateur du mouvement Transition France le souligne : “ c’est l’imagination qui nous fait bouger ! ”. ¹² Selon lui, beaucoup d’individus et de communautés ont d’ores et déjà emprunté le chemin de l’imagination. Ce qui engendre des changements positifs partout dans le monde. Le collectif Utopies place l’idée de changement de récit au cœur de son manifeste : “ Prendre la parole, sans répit, pour changer de récit. Pour éveiller les esprits sur le développement durable, inspirer les gens et les dirigeants, pour penser autrement l’entreprise et le monde. Pour partager notre conviction qu’il n’y a pas de modèle économique viable sur une planète et dans une société en faillite. ”
Les structures de l’ESS ont également l’ambition d’impacter les normes sociales et juridiques. Selon la théorie du point de basculement de Malcolm Gladwell : en dépassant le seuil de 10% de minorités actives et engagées, le point de basculement peut être atteint pour permettre le changement systémique d’une norme. ¹³ Une coalition d’entreprises engagées s’est notamment rassemblée pour lancer la démarche “ 10% pour tout changer ” au Ministère de la Transition Écologique et Solidaire en mai dernier.
La crise du COVID-19 nous a montré que nous respirons tous le même air, que nous sommes tous interdépendants. L’ESS représente ainsi une troisième voie au-delà des dichotomies, une opportunité de développer cette interdépendance : la collaboration au niveau local mais aussi international est cruciale et doit être amplifiée.
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Sources
¹ Propos de Christophe Itier dans l’article par Le Journal du Dimanche
² Avise donne cette définition
³ La newsletter d’avril 2020 d’Utopies donne cette définition
⁴ et ⁵ La note de position d’Utopies donne ces informations
⁶ Propos de Christophe Itier dans l’article par Le Journal du Dimanche
⁷ La matinale Économie Positive de l’Adetem traite de ce sujet : voir le replay
⁸ L’enquête d’Opinionway et de l’Institut de l’Économie Positive donne cette définition
⁹ La note de position d’Utopies donne ces informations
¹⁰ Vie-publique.fr donne cette information
¹¹ Le site Paris 2024 donne ces informations
¹² L’article Le Grand Continent donne ces informations
¹³ Propos d’Elisabeth Laville dans le podcast Impact Positif