Le greenwashing, quels risques pour les entreprises ? Interview de Mathieu Jahnich

Bonjour Mathieu, qui es-tu et d’où viens-tu ?

Bonjour Coralie, je suis consultant-chercheur en communication responsable et gérant de MJ Conseil, un trio d’expertes* à l’interface entre les enjeux de soutenabilité et de communication. Avec Sandrine Cadic et Aurélie Wastin, nous pensons que la « RSE des petits pas » et la « communication paillettes » entretiennent l’illusion d’un changement et freinent la transition. Nous savons que l’alliance de la communication responsable et de la RSE a le pouvoir de transformer véritablement les organisations. Grâce à nos expertises complémentaires et à notre complicité, nous cherchons à révéler et amplifier ce pouvoir auprès des personnes que nous accompagnons : responsables RSE ou/et communication d’organisations et d’entreprises de secteurs variés.

Je viens du monde académique. J’ai une formation en sciences de l’ingénieur et un doctorat en communication des sciences et de l’environnement de l’ENS Paris-Saclay. J’ai commencé à travailler sur les enjeux de communication plus responsable en 1999, puis avec mon blog en 2005 avec un focus sur les messages. Comment les entreprises, les ONG, les médias parlent-ils des questions environnementales ? Quels sont les mots et les argumentaires qu’ils utilisent ? Quelles sont les perceptions du public ? Peut-on utiliser la communication et les médias pour faire changer les comportements sur l’écologie ? 

Après quelques années dans la recherche et un passage par le ministère de l’écologie et deux organismes publics de recherche en tant que communicant, je me suis lancé dans le conseil, en 2012. J’ai toujours gardé un pied à l’université : j’interviens dans différentes formations, à Sciences Po et au CELSA notamment. 

* Chez MJ Conseil, le féminin l’emporte sur le masculin.

Tu es une figure de la communication responsable, quel a été ton déclic ?

Ma rencontre avec Valérie Martin. Elle porte ces sujets à l’ADEME depuis longtemps et elle m’a confié ma première mission en 2012. Il s’agissait de produire une étude exploratoire sur le marketing plus responsable. Nous avons ensuite travaillé sur le Bilan Publicité et environnement ARPP-ADEME puis sur l’actualisation du Guide de l’éco-communication de l’ADEME qui a été publié en 2020 sous le titre Guide de la communication responsable

C’est à cette occasion que j’ai véritablement saisi la puissance du concept de communication responsable : la lutte contre le greenwashing et l’éco-conception des supports mais aussi les enjeux d’accessibilité et de socio-conception, de lutte contre les stéréotypes, de promotion de nouveaux imaginaires, de mesure d’impacts, de dialogue avec les parties-prenantes, de respect de nos équipes et partenaires, etc. 

Quelle que soit la nature de votre organisation, la communication responsable vous aide à interroger, consolider, bousculer votre véritable « raison d’être » : ce que vous apportez à la société, la manière dont vous le faites et, bien sûr, la façon dont vous le racontez en interne comme en externe. Ainsi, la communication responsable est un outil stratégique au service de la transformation des organisations et, plus largement, de la société. Je trouve cela passionnant et porteur de sens, pour nous trois et pour notre écosystème. 

Tu t’investis beaucoup au sujet du greenwashing, auprès de l’ARPP et du JDP notamment, quelle est ta vision ?

Le greenwashing freine la transition vers des modes de vie plus soutenables en empêchant le public de faire des choix éclairés et en distordant la concurrence entre les entreprises. Constatant que de nombreux annonceurs et agences ne comprennent pas les enjeux ni la mécanique du greenwashing, je cherche à les sensibiliser et à les mobiliser de différentes manières : 

  • En tant que citoyen : je signale régulièrement au Jury de déontologie publicitaire des publicités qui me paraissent contraires aux règles déontologiques en vigueur (la Recommandation développement durable de l’ARPP). Depuis 2019, j’ai déposé 90 « plaintes » dont 72 (80%) ont été considérées comme fondées. Cela me permet d’interpeller les entreprises et leurs agences de façon plus efficace que si je publiais simplement une analyse critique sur mon blog ou sur LinkedIn. 
  • En tant qu’expert nommé par l’ADEME pour contribuer au Bilan Publicité et environnement depuis 2015 : avec les juristes de l’ARPP, avec Valérie Martin et l’appui ponctuel d’ingénieur·es de l’ADEME, nous analysons des centaines de publicités environnementales et nous évaluons si elles sont conformes ou pas aux règles déontologiques. Cette étude récurrente est un formidable outil pédagogique puisque des dizaines de cas y sont décortiqués. 
  • En tant que consultant : avec Aurélie et Sandrine, nous assurons de nombreuses formations à la lutte contre le greenwashing, nous venons en appui à la conception de guides internes anti-greenwashing et nous réalisons des prestations de relecture de contenus avant leur diffusion (rapport RSE, communiqué de presse, campagne de pub, page web, posts réseaux sociaux…) pour s’assurer que les arguments sont fondés, proportionnés et clairs et réduire les risques de critiques. Voici quelques marques pour lesquelles nous avons travaillé sur ces sujets ces derniers mois : Decathlon, Yves Rocher, Kering, Accor, Intermarché, Leroy Merlin, SVR, Suravenir Assurances…

Sur le fond, le dispositif d’autorégulation publicitaire en vigueur me paraît insuffisant et inadapté aux pratiques de communication commerciales actuelles et aux enjeux écologiques : quasiment aucun contrôle avant diffusion (l’avis amont de l’ARPP est exigé pour les publicités tv mais pas pour les autres formats publicitaires, notamment toutes communications commerciales sur les réseaux sociaux et le web), aucune sanction pour les entreprises et les agences fautives, difficulté à reconnaître les incitations à la surconsommation, absence de réelle ouverture de la gouvernance de l’ARPP aux associations de protection de l’environnement…  

Face à ces insuffisances, et en attendant peut-être un jour la mise en place d’un contrôle amont indépendant, systématique et bloquant de toutes les allégations écologiques pour les communications commerciales dépassant un certain seuil d’investissement, je suis satisfait du durcissement réglementaire français et européen. Ainsi, la lutte contre le greenwashing n’est plus seulement une question éthique pour les entreprises : c’est devenu un sujet de compliance. Il s’agit désormais de prévenir des risques juridiques conséquents. 

Quels sont les risques aujourd’hui pour les entreprises qui pratiquent le greenwashing ?

Il est légitime et souhaitable que les entreprises communiquent sur l’avancement de leur démarche de soutenabilité ou sur la commercialisation de produits ou services plus compatibles avec les enjeux écologiques. Mais elles doivent le faire de façon « propre » et avec humilité, avec des allégations claires, précises, proportionnées et vérifiables. Sinon, elles s’exposent à différents risques : 

  • Critiques sur les réseaux sociaux voire dans les médias, citation dans le Bilan Publicité et environnement ADEME-ARPP ou avis du JDP : ces publications ternissent l’image de l’entreprise et affaiblissent la marque employeur auprès des personnes actives et des étudiant·es les plus engagées. 
  • En interne : démobilisation des personnes les plus impliquées et apparition de tensions entre les équipes RSE et les équipes marketing et publicité, accusées de ne pas comprendre les enjeux écologiques, de caricaturer la démarche et de chercher le « coup de com ». 
  • De plus en plus de risques juridiques : avec le renforcement de la lutte contre les pratiques commerciales trompeuses et l’encadrement de certaines allégations spécifiques au niveau français et européen, certaines entreprises n’hésitent pas à attaquer leurs concurrents devant les tribunaux, des ONG portent plainte également, sans parler des contrôles des pouvoirs publics, notamment via la DGCCRF. 

Au-delà de la réduction de ces risques, je tiens à souligner les avantages à adopter une posture de communication responsable : entretenir la dynamique interne, consolider la confiance de nos publics, entraîner toutes nos parties prenantes dans la démarche d’amélioration continue, être identifié par des investisseurs ou des partenaires engagés, etc. Autrement dit, face aux risques de greenwashing, le greenhushing n’est pas envisageable. La seule solution est d’adopter une posture de communication la plus responsable possible. 

Quels seraient tes conseils aux structures qui veulent éviter le greenwashing dans leur communication ?

Avant de parler communication, il convient de parler RSE et création de valeurs. Le meilleur moyen d’éviter le greenwashing est de disposer d’une stratégie RSE à la hauteur des enjeux écologiques. De quelle manière l’activité de votre entreprise contribue-t-elle à dépasser les limites planétaires et à creuser le plancher social ? Quelle trajectoire avez-vous défini pour réduire vos impacts voire parvenir à certaines contributions positives, sur quels indicateurs et à quelles échéances ? Quelles sont les valeurs générées et comment sont-elles partagées ? 

Ensuite, sur le volet communication à proprement parler, j’identifie trois leviers d’action complémentaires : 

  1. Former les équipes communication et marketing pour qu’elles comprennent l’évolution du contexte sociétal, maîtrisent le cadre déontologique et réglementaire et puissent exprimer leur créativité tout en réduisant le risque de critiques. La Master Class greenwashing que j’anime avec l’avocate spécialisée Clémentine Baldon répond à ces objectifs.  
  2. Être exigeant avec les prestataires qui vous accompagnent : agence conseil, agences média, freelance, etc. Travaillez avec des personnes qui sont elles-mêmes sensibilisées et formées, qui seront en capacité de concevoir des contenus attractifs et le plus responsables possible. 
  3. Mettre en place ou renforcer le processus de relecture et de validation de vos supports communication à chaque fois que l’argument écologique est mis en avant : un comité interne de relecture, la saisine des juristes de l’ARPP, une prestation de relecture auprès d’expert·es externes… 

Quels sont tes futurs projets ?

Parmi les projets d’envergure, je peux citer la mission de refonte du Guide anti-greenwashing de l’ADEME, toujours avec Valérie Martin, ainsi que l’accompagnement en stratégie de communication responsable de CDC Habitat, l’un des acteurs majeurs de l’habitat en France, et des formations pour le Groupe RATP, TF1 Pub ou CTC Groupe. 

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